Qui sait comment les écrivains, tout en produisant de la fiction, comprennent le monde qui les entoure, aussi bien que le monde à venir, mieux que quiconque. La fiction serait-elle une forme de transe, dans laquelle le temps et l’espace cycliques se replient et s’annulent, dans laquelle les temps futurs ne sont pas entraperçus, mais littéralement inventés ? Ou bien est-ce le moment présent, obsédé par lui-même, qui se cherche avec orgueil dans la littérature du passé ? Je voudrais, pour expliciter mes propos, vous proposer cet extrait édifiant :
En bas, dans la grande cité de New York, tout le monde fut pris de panique. Un énorme avion (…) avait été aperçu dans le ciel, juste au-dessus de Manhattan. Déjà le bruit courait qu’il s’agissait d’une redoutable bombe envoyée par une puissance étrangère pour réduire en cendres toute la cité. Toutes les sirènes se mirent à hurler. Tous les programmes de la radio et de la télévision furent interrompus. La population était invitée à gagner immédiatement les abris souterrains. Un million de paisibles promeneurs levèrent les yeux au ciel et virent l’engin monstrueux, prêt à s’abattre sur eux. Alors ils se mirent tous à courir vers la bouche de métro la plus proche. Les généraux se précipitèrent à leur téléphone et donnèrent des ordres à tort et à travers. Le maire de New York appela le président des États-Unis à Washington pour lui demander de l’aide. Le président, en train de prendre son petit déjeuner en pyjama, repoussa son plateau chargé de biscuits et de confitures pour appuyer sur toutes sortes de boutons, à gauche et à droite, afin de convoquer tous ses généraux et tous ses amiraux. Et partout sur l’immense territoire d’Amérique, dans tous les cinquante États, de l’Alaska à la Floride, de la Pennsylvanie aux îles Hawaï, on sonna l’alerte en annonçant que la plus grosse bombe de tous les temps planait au-dessus de New York, prête à exploser.
Et l’avion continua de dégringoler. (…) Dans sa chute accélérée, il approchait de plus en plus des toits et des rues où, dans un instant, il allait fatalement s’écraser et éclater en mille morceaux. Tout le long de la cinquième avenue, de Madison avenue, et de toutes les autres rues de la grande ville, les gens qui n’avaient pas encore gagné les bouches de métro levèrent les yeux au ciel et le virent qui descendait à toute allure. Frappés de stupeur, ils crurent que la plus énorme de toutes les bombes était en train de tomber du ciel pour s’écraser sur leur tête. Quelques femmes éclatèrent en sanglots, d’autres se mirent à genoux sur le trottoir pour prier tout haut. Des hommes échangèrent des regards ahuris et des propos comme : « Cette fois-ci, c’est la fin, Joe », et « Adieu, adieu, tout le monde » Et pendant trente secondes, toute la ville, le souffle coupé, attendit la fin du monde. »
Si je vous disais maintenant que ce texte n’est pas issu d’une coupure de presse datée du douze septembre 2001 , mais d’un livre pour enfants, publié en 1961 !
Il s’agit de James et la grosse pêche, best-seller de Roald Dahl, dans lequel, je me suis seulement permis de remplacer le mot « pêche » par le mot « avion ». Je vous laisse méditer là-dessus…
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